Le mécanisme du forfait-jours, qui conduit à décompter le temps de travail en jours et non plus en heures, est source de nombreux abus en matière de durée et de charge de travail.
Les accords de branche ou d’entreprise instaurant un forfait-jours ont pour la plupart intégré les mécanismes nécessaires à la protection de la sécurité et de la santé des salariés (souvent des cadres) qui y sont soumis.
Pour autant, il reste aux employeurs à les appliquer. Les syndicats peuvent d’ailleurs, dans une certaine limite, intenter une action en justice ?
Quel est le sort d’un accord d’entreprise prévoyant toutes les protections nécessaires à la préservation de la santé des salariés en forfait-jours mais qui n’est pas appliqué par l’employeur ?
Dans cette affaire, les juges ont considéré que l’accord collectif prévoyait bien les garanties suffisantes en matière de protection de la santé des salariés en forfait :
- une durée de travail ne devant pas dépasser en moyenne 8 heures par jour (1736 heures à l’année) ;
- un horaire quotidien de 10 heures maximum à ne pas dépasser ;
- une charge de travail adaptée en conséquence ;
- deux jours entiers consécutifs de repos hebdomadaires par semaine.
L’accord d’entreprise était donc tout à fait valide, mais pas ou mal appliqué par l’employeur.
Par exemple celui-ci s’était montré défaillant dans son obligation d’effectuer un suivi régulier de la charge de travail en n’organisant pas les entretiens relatifs à la charge de travail.
Plutôt que de sanctionner l’accord en le déclarant inopposable aux salariés, la Cour de cassation précise pour la première fois que « le non-respect par l’employeur des clauses de l’accord collectif destinées à assurer la protection de la sécurité et de la santé des salariés soumis au régime du forfait en jours n’entraîne pas son inopposabilité aux salariés« .
En revanche, précise la Cour de cassation cela conduit à « la privation d’effet des conventions individuelles conclues en application de cet accord« . Avec cet attendu, la Cour de cassation préfère sanctionner la négligence de l’employeur plutôt que l’accord négocié par les partenaires sociaux, dès lors qu’il comportait toutes les garanties nécessaires pour être valide.
La deuxième question soulevée dans cette affaire concerne la qualité à agir d’un syndicat lorsqu’un mécanisme de forfait jours lui semble porter atteinte à la santé des travailleurs. Rappelons que les syndicats ont le droit d’agir en justice, notamment pour la défense de l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent.
Selon la Cour de cassation, le syndicat peut tout à fait engager une action visant à :
faire constater le caractère insuffisamment protecteur de l’accord collectif instaurant le forfait-jours ;
obtenir l’exécution par l’employeur des obligations conventionnelles mises à sa charge (entretien sur la charge de travail, durées maximales de travail etc.).
En revanche, le syndicat ne pourra obtenir la nullité ou l’inopposabilité des conventions individuelles de forfait-jours des salariés concernés ni, par conséquent, l’application du décompte du temps de travail selon les règles du droit commun.
En effet, les juges ont estimé qu’il appartient à chaque salarié d’intenter, en plus de l’action engagée par le syndicat sur le fondement de l’intérêt collectif, son action individuelle et de justifier de la réalité des droits invoqués. Seul le salarié peut donc réclamer un rappel de salaire ou l’application des règles sur les 35 heures.
A noter qu’une solution identique avait déjà été dégagée antérieurement et concernait les conventions de forfait en heures (Soc. 14 décembre 2016 n° 1520.812) Soc. 15 décembre 2021 n° 19-18.226